Les yeux d’Amanda

Ce n’est pas seulement pour le plaisir du jeu de mots, mais elle a de beaux yeux en amande, Amanda. Ses sublimes et claires pupilles nourrissent l’innocence générale de son visage, quand bien même son physique avantageux a très tôt favorisé les rôles de garces au cinéma – chef de la bande des belles gourdes dans Lolita malgré moi, aux côtés de Rachel McAdams et Lindsay Lohan, call girl dans le remake américain de Nathalie, Chloe, par Atom Egoyan. Incarnation de la sensualité au cinéma, Amanda renvoie à ces actrices dont le charme apparent n’avait d’égale que la fragilité intérieure, et dont Marilyn Monroe fut la plus tragique représentante. Elle possède ce mélange de volupté et de candeur qui crée une délicieuse indistinction d’âge : est-elle adulte, est-elle enfant ? Moins pomponnée qu’aux premières de ses films, lorsque les paparazzi la criblent de flashes agressifs, elle a quelque chose de notre Mélanie Thierry nationale, ce regard légèrement perdu qui cache une connivence intime avec la beauté mystique, et mythique, des nymphes grecques. Ce n’est pourtant pas chez les Hellènes qu’il faut quêter ses lointaines origines, mais du côté des Allemands ; rien à voir, pour autant, avec le Siegfried de la légende germanique, bien qu’elle eût sans doute pu inspirer à Wagner une œuvre au moins aussi lyrique que son Ring.

Dans Disparue, son dernier film à l’affiche, mis en scène par Heitor Dhalia, Amanda se glisse dans la peau d’une jeune femme terrorisée, coincée entre l’innocence de l’adolescence et la maturité brutale qui découle d’une épreuve traumatique. Sa Jill Conway prend des cours de self defense et change de trottoir lorsqu’elle croise la route d’une silhouette suspecte. Sa crainte de l’agression confine à la démence – ou du moins à la dépression, son portable lui rappelant à intervalles réguliers de bien vouloir « sourire » – et pourtant, nous la découvrons, dans les premières images, en pleine déambulation solitaire dans une vaste et épaisse forêt, comme une résurgence géographique de son incarnation de Petit Chaperon Rouge moderne dans le film de Catherine Twilight Hardwicke. Sa démarche est angoissée, son regard est lointain, mais son corps nous dit tout autre chose : il nous rappelle que l’enveloppe humaine n’est que le véhicule d’une âme nécessairement torturée, tournée vers le passé plus que vers l’avenir. La preuve en images, puisque Jill, visitant les recoins du parc national à la recherche d’un souvenir, s’oppose à sa sœur Molly, celle-ci préparant consciencieusement un important examen scolaire. Il faut peut-être réfléchir à la façon dont Amanda conçoit sa propre carrière, en concentrant ses pensées sur le jour présent plutôt que sur des lendemains incertains – après tout, la fulgurance d’une carrière s’apparente au sublime de la beauté : toutes deux finissent par se faner. Ou peut-être faut-il chercher l’origine de Jill dans les propres démons de la comédienne, qui paraît-il souffre d’anxiété et d’attaques de panique.

Qu’elles sont loin les Amanda d’avant ! La bimbo richissime mais désabusée de Time Out, la copine, négligée, timide et portant lunettes, de Megan Fox dans Jennifer’s Body (la petite blonde a d’ailleurs rapidement fait oublier la grande brune sans talent), la sensuelle girlfriend de Chloe – toutes ont disparu, avalées par Disparue. Qu’elle a changé, la jeune fille qui, à onze ans, débutait comme modèle pour les publicités avant de démarrer une carrière au cinéma à quinze ! Lucidité et angoisse, volupté et friponnerie se sont évanouies à l’intérieur d’une femme-enfant nommée Jill, cet être constamment sur la brèche qui traverse, avec l’assurance physique et vocale d’une névrosée retenue, un scénario malingre, bancal et peu crédible. Les personnages qui l’entourent témoignent d’une psychologie si faible, si grotesque, qu’elle en sort progressivement renforcée, comme s’ils n’étaient que des mannequins caricaturaux qu’elle devait éliminer pour mieux s’imposer. Ce n’est pas un hasard si, dans un finale aussi bref que soudain, couronnement d’une nouvelle longue déambulation solitaire dans la forêt nocturne, Jill se débarrasse du vilain type qui l’empêchait résolument de devenir cette femme qui pointait derrière l’enfant, à la façon d’une dent définitive poussant sa cousine lactéale. Ainsi, elle fait place sur l’écran pour sa seule présence, magnétique, époustouflante, électrisante. Celle de la future Cosette des Misérables, version Tom Hooper – encore une femme-enfant –, celle de l’actrice de porno Linda Lovelace dans le biopic de Rob Epstein et Jeffrey Friedman – encore une adulte sensuelle rongée par ses démons. Un message à la gent masculine, sans doute, qui aurait volontiers vu en elle un ersatz de nymphette superficielle. On dira, dans les futures biographies de l’actrice, que toute la masculinité devant elle se pâma, et qu’à travers elle, elle s’Amanda.

Eric Nuevo

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