Rachel Weisz : l’importance d’être constante

Rachel Weisz

Son nom se prononce « Vice », comme dans « Miami Vice », mais elle est tout le contraire du vice. Rachel Weisz personnifie l’élégance et l’intelligence de sa naissance britannique, elle que l’on a très tôt surnommée la Rose anglaise d’après cette fleur typique des jardins anglo-saxons. Et bien que l’expression populaire stipule qu’il n’existe pas de rose sans épines, il semblerait bien que cette plante-ci échappe à la règle. S’il fallait dresser son portrait exactement inversé, on décrirait, par ironie, la personnalité de Blanche DuBois, le personnage d’Un tramway nommé désir qu’elle a incarné en 2009 au théâtre, d’après Tennessee Williams, et qui lui a valu le prix Laurence-Olivier : la nymphomane aux allures de bourgeoise factice, prête à se rouler dans la fange avec le premier venu, fascinée par le machisme de Stanley Kowalski, est à Rachel ce que le reflet du miroir est à celui qui s’y regarde. Le secret de cette teneur mystique, presque surnaturelle, tient à ce que l’héroïne de The Fountain est aussi intemporelle que son modèle cinématographique. « Il y a un tas d’actrices contemporaines que j’admire, déclare-t-elle. Mais je n’envie la carrière d’aucune comédienne ayant fait uniquement des films en couleurs… Je ne me sens pas moderne pour un sou. » (1) Tant mieux, car la modernité est assassine : elle englue les êtres dans leur contemporanéité comme des mouches sur une toile d’araignée. Ainsi, lorsqu’elle incarne Hypatie, la mathématicienne et astronome grecque, pour l’Agora d’Alejandro Amenabar (2009), elle voue en même temps son corps à la torture – Hypatie fut lapidée et découpée en morceaux – et son âme à la postérité.

Née le 7 mars 1970 à Londres, Rachel est fille d’un inventeur hongrois et d’une psychanalyste autrichienne ayant fui le nazisme. Cette origine est-européenne lui confère, outre un patronyme très marqué par la langue magyar, une pincée d’exotisme qui doit sembler, pour les Britanniques, aussi doucereux que l’est son léger accent anglais pour les Américains. Durant ses études à Cambridge, elle monte la troupe des Talking Tongues avec des camarades et se lance sur les planches – Slight Possession, sa première performance, lui rapporte une récompense au festival d’Edimbourg. C’est le point de départ d’une carrière parmi les plus florissantes et les plus étonnantes des actrices de sa génération, faite de refus – elle rejette une proposition de tourner dans Le Roi David avec Richard Gere, cédant à l’injonction de ses parents de terminer d’abord ses études – et de choix judicieux, voire audacieux. Un petit rôle dans Death Machine de Stephen Norrington (1994), un plus gros aux côtés de Keanu Reeves et Morgan Freeman dans Poursuite d’Andrew Davis (1996), une apparition dans Beauté volée de Bertolucci (1996), et la voilà bientôt propulsée en tête d’affiche dans la grosse production de Stephen Sommers, La Momie (1999), où le monde entier découvre une entêtée mais tout à fait charmante bibliothécaire spécialiste de l’histoire antique égyptienne. Cette lectrice amoureuse de Philip Roth et de Tobias Wolff avoue volontiers que son cœur « [la] porte plus spontanément vers des films d’auteur indépendants », mais cette propension à l’intellectualisme, qui en fait l’égérie des cinéphiles aussi bien que de la marque L’Oréal, ne l’empêche nullement d’alterner les budgets pharaoniques – Le Retour de la momie en 2001, Constantine en 2005 ou Jason Bourne : l’héritage en 2012 – et les productions plus intimistes. Voire plus personnelles, à l’instar de Sunshine (Istvan Szabo, 2000), fresque historique qui suit une famille hongroise dans laquelle l’actrice a pu trouver un certain attrait domestique, ou du premier long-métrage d’une jeune réalisatrice, The Whistleblower (Larysa Kondracki, 2010) qui l’envoie en Bosnie à la découverte d’un trafic sexuel.

The Constant Gardener, en 2005, a été le déclic. « Je ne m’étais jusque-là jamais sentie aussi libre sur un plateau au point, pour la première fois, d’oublier la caméra. » (2) Le film de Fernando Meirelles, qu’elle retrouvera en 2012 pour le médiocre 360, lui apporte à la fois un Oscar (celui du meilleur second rôle féminin) et cette légitimité qu’il lui manquait dans le métier. Impossible, désormais, de la confondre avec l’indécise héroïne de Design for Living, la pièce de Noël Coward qu’elle interpréta en 1994, ou avec le fantôme, invisible aux yeux de tous ou presque, qu’elle incarne dans Dream House (Jim Sheridan, 2011). Rachel Weisz n’est ni un spectre promis à l’évanouissement, ni une potiche dans laquelle se reflètent les egos mâles de ses partenaires. Sans elle, sans le regard profondément amoureux que lui porte Darren Aronofsky, The Fountain (2006) n’existerait pas – et le monde s’en porterait bien plus mal. Sans elle, My Blueberry Nights (Wong Kar-wai, 2007) serait à peine regardable, et tout, dans Lovely Bones (Peter Jackson, 2009), serait à jeter aux ordures. Et si les hommes se pâment devant elle – voyez The Deep Blue Sea de Terence Davies (2011) – et se battent pour elle, c’est qu’elle a définitivement moins de la rigidité un peu rustre des Hongrois, que de la délicatesse britannique et de cette élégance qui en fait, par sa mère, une véritable Weisz de Vienne.

Eric Nuevo

(1) The Observer, 16 octobre 2005
(2) L’Express, 20 septembre 2012.

Lettre ouverte à Emily Blunt

Chère Emily, née Emily Olivia Leah Blunt,

Tu voudras bien m’excuser si je rédige cette lettre en français, mais l’anglais écrit n’est pas vraiment mon fort, et puis la langue de Molière et de Benjamin Castaldi me permettra de mieux exprimer ce que je ressens. Car j’éprouve de la colère, oui, une grande colère très éloignée du flegme britannique qui te caractérise. Mon ire s’est développée suite à la vision de ton dernier long-métrage, Des saumons dans le désert, une « chose » réalisée par Lasse Hallström. Même si j’ai pris sur moi de rester durant la totalité de la projection, ce fut un véritable calvaire que ce film. Passées les trente premières minutes laissées au bénéfice du doute, il est clairement apparu que Des saumons dans le désert est une guimauve poissonneuse qui n’est pas à ta hauteur

Je cherche le thon juste pour te tendre une perche, même si cette histoire de saumons, après tout, ce n’est pas la mer à boire. Je veux simplement que tu te méfies. Tu as toujours été la plus charmante parmi les jeunes actrices britanniques, loin, très loin devant celle qui ressemble à un squelette et qui jouait la potiche dans Pirates des Caraïbes, j’ai oublié son nom. Tu es aussi parmi les plus talentueuses – les plus malins de tes fans se souviennent de tes atouts exposés au grand jour dans My Summer of Love. Dans Le Diable s’habille en Prada, tu piquais définitivement la vedette à cette quiche d’Anne Hathaway, avec son sourire bovin à la Julia Roberts, même affublée de ce délicieux petit rhume qui permettait à la gourdasse déjà citée de faire je-ne-sais-plus-quoi à ta place pour obtenir les faveurs de l’insupportable Meryl Streep. Tu rayonnais aussi avec un petit rôle dans La Guerre selon Charlie Wilson et l’année suivante en haut de l’affiche dans Sunshine Cleaning, bien qu’il me faille avouer ici, au risque de te décevoir, que je garde une petite préférence tout de même pour Amy Adams, parce qu’elle est plus sémillante que toi. Tu noteras néanmoins qu’à elle, je n’écris pas de missive, preuve de mon attachement indubitable à ton égard.

J’estime que tes qualités ont réellement été révélées par ton incarnation de la reine Victoria dans le film de Jean-Marc Vallée. Tu y donnais la réplique à Rupert Friend et Paul Bettany. Tu te souviens ? Ah ! que le costume de souveraine t’allait bien ! Certes, ce n’était pas une œuvre majeure du cinéma, mais l’Histoire retiendra la délicate prestation de ta personne royale, un comble pour tous ceux qui espéraient un jour te voir sur le trône. Rien à voir, vraiment, avec l’elfe décatie qui joua Elizabeth dans un autre film dix ans plus tôt. Je crois que les longs-métrages historiques te vont bien, et je repense à Wolfman, à ta fragilité face au vilain loup-garou ; tu n’aimes pas beaucoup les hommes pleins de poils, visiblement, mais je suis sûr que nous ferons avec.

Mais voilà, malgré tout, je dois t’enguirlander. Tu vois, je comprenais tout à fait que Matt Damon ait envie de quitter sa destinée toute tracée uniquement pour être avec toi dans L’Agence, ce joli film incompris, rejeté de tous ces idiots qui ne voyaient pas à quel point tu étais brillante. J’aurais fait presque autant pour toi, sauf affronter les énormes miches en 3D de Jack Black dans l’affreux Gulliver. Cependant, tu commences à t’égarer. Tu ruines les espoirs que j’ai placés en toi. Les Voyages de Gulliver étaient un avertissement, pourtant : Emily, tu pourrais facilement te faire avoir et accepter de jouer dans des idioties juste pour faire plaisir à quelque ami ou mettre quelque sou de côté pour t’offrir un nouveau sac à main ou, qui sait, ce voyage dont tu rêvais tant pour venir me voir à Paris (préviens-moi alors, que je rase mes poils de loup-garou). Gulliver, c’était limite, même pour toi, même si tu étais jolie comme tout en princesse de royaume imaginaire. Et voilà que Des saumons dans le désert est franchement de trop. Comment tu as pu te laisser embarquer dans cette barque vouée au naufrage ? Autant monter dans un vieux Tupolev russe, tu serais certaine du crash !

Emily, si je t’écris, c’est pour t’intimer de te reprendre rapidement. Il faut tenter de remonter la rivière comme les saumons du film susdit. Quand je lis les pitchs de tes prochains longs, j’ai tout de même du mal à garder confiance : Your Sister’s Sister et The Five-Year Engagement n’ont pas exactement l’air de grands chefs-d’œuvre. Bref, j’ai peur pour toi, j’ai peur pour nous, car que deviendrons-nous si tu finis par tapiner dans des films nullissimes pour les idiots ? Sera-t-on obligé de travailler comme des gens normaux et de vivre dans cette affreuse ville de Londres ? Impossible. Je sais que ton nom, en anglais, veut dire « émoussé, mal taillé », mais est-ce une raison pour ne pas rester affûtée ? Alors, je t’en prie, au boulot, et applique-toi, que diable ! Et ne m’oblige pas à t’écrire moi-même un scénario, parce qu’il m’a déjà fallu une journée complète pour rédiger cette lettre sans avoir de migraine.

Meilleurs sentiments,

Ton admirateur,

E.N.