Lettre ouverte à Emily Blunt

Chère Emily, née Emily Olivia Leah Blunt,

Tu voudras bien m’excuser si je rédige cette lettre en français, mais l’anglais écrit n’est pas vraiment mon fort, et puis la langue de Molière et de Benjamin Castaldi me permettra de mieux exprimer ce que je ressens. Car j’éprouve de la colère, oui, une grande colère très éloignée du flegme britannique qui te caractérise. Mon ire s’est développée suite à la vision de ton dernier long-métrage, Des saumons dans le désert, une « chose » réalisée par Lasse Hallström. Même si j’ai pris sur moi de rester durant la totalité de la projection, ce fut un véritable calvaire que ce film. Passées les trente premières minutes laissées au bénéfice du doute, il est clairement apparu que Des saumons dans le désert est une guimauve poissonneuse qui n’est pas à ta hauteur

Je cherche le thon juste pour te tendre une perche, même si cette histoire de saumons, après tout, ce n’est pas la mer à boire. Je veux simplement que tu te méfies. Tu as toujours été la plus charmante parmi les jeunes actrices britanniques, loin, très loin devant celle qui ressemble à un squelette et qui jouait la potiche dans Pirates des Caraïbes, j’ai oublié son nom. Tu es aussi parmi les plus talentueuses – les plus malins de tes fans se souviennent de tes atouts exposés au grand jour dans My Summer of Love. Dans Le Diable s’habille en Prada, tu piquais définitivement la vedette à cette quiche d’Anne Hathaway, avec son sourire bovin à la Julia Roberts, même affublée de ce délicieux petit rhume qui permettait à la gourdasse déjà citée de faire je-ne-sais-plus-quoi à ta place pour obtenir les faveurs de l’insupportable Meryl Streep. Tu rayonnais aussi avec un petit rôle dans La Guerre selon Charlie Wilson et l’année suivante en haut de l’affiche dans Sunshine Cleaning, bien qu’il me faille avouer ici, au risque de te décevoir, que je garde une petite préférence tout de même pour Amy Adams, parce qu’elle est plus sémillante que toi. Tu noteras néanmoins qu’à elle, je n’écris pas de missive, preuve de mon attachement indubitable à ton égard.

J’estime que tes qualités ont réellement été révélées par ton incarnation de la reine Victoria dans le film de Jean-Marc Vallée. Tu y donnais la réplique à Rupert Friend et Paul Bettany. Tu te souviens ? Ah ! que le costume de souveraine t’allait bien ! Certes, ce n’était pas une œuvre majeure du cinéma, mais l’Histoire retiendra la délicate prestation de ta personne royale, un comble pour tous ceux qui espéraient un jour te voir sur le trône. Rien à voir, vraiment, avec l’elfe décatie qui joua Elizabeth dans un autre film dix ans plus tôt. Je crois que les longs-métrages historiques te vont bien, et je repense à Wolfman, à ta fragilité face au vilain loup-garou ; tu n’aimes pas beaucoup les hommes pleins de poils, visiblement, mais je suis sûr que nous ferons avec.

Mais voilà, malgré tout, je dois t’enguirlander. Tu vois, je comprenais tout à fait que Matt Damon ait envie de quitter sa destinée toute tracée uniquement pour être avec toi dans L’Agence, ce joli film incompris, rejeté de tous ces idiots qui ne voyaient pas à quel point tu étais brillante. J’aurais fait presque autant pour toi, sauf affronter les énormes miches en 3D de Jack Black dans l’affreux Gulliver. Cependant, tu commences à t’égarer. Tu ruines les espoirs que j’ai placés en toi. Les Voyages de Gulliver étaient un avertissement, pourtant : Emily, tu pourrais facilement te faire avoir et accepter de jouer dans des idioties juste pour faire plaisir à quelque ami ou mettre quelque sou de côté pour t’offrir un nouveau sac à main ou, qui sait, ce voyage dont tu rêvais tant pour venir me voir à Paris (préviens-moi alors, que je rase mes poils de loup-garou). Gulliver, c’était limite, même pour toi, même si tu étais jolie comme tout en princesse de royaume imaginaire. Et voilà que Des saumons dans le désert est franchement de trop. Comment tu as pu te laisser embarquer dans cette barque vouée au naufrage ? Autant monter dans un vieux Tupolev russe, tu serais certaine du crash !

Emily, si je t’écris, c’est pour t’intimer de te reprendre rapidement. Il faut tenter de remonter la rivière comme les saumons du film susdit. Quand je lis les pitchs de tes prochains longs, j’ai tout de même du mal à garder confiance : Your Sister’s Sister et The Five-Year Engagement n’ont pas exactement l’air de grands chefs-d’œuvre. Bref, j’ai peur pour toi, j’ai peur pour nous, car que deviendrons-nous si tu finis par tapiner dans des films nullissimes pour les idiots ? Sera-t-on obligé de travailler comme des gens normaux et de vivre dans cette affreuse ville de Londres ? Impossible. Je sais que ton nom, en anglais, veut dire « émoussé, mal taillé », mais est-ce une raison pour ne pas rester affûtée ? Alors, je t’en prie, au boulot, et applique-toi, que diable ! Et ne m’oblige pas à t’écrire moi-même un scénario, parce qu’il m’a déjà fallu une journée complète pour rédiger cette lettre sans avoir de migraine.

Meilleurs sentiments,

Ton admirateur,

E.N.